Autour de PALLAS, école d'art estonienne (1919-1940)

Art

Écrit par Jean-Yves Bou et publié le 21 Feb 2017

8 minutes de lecture

Un voyage en Estonie pendant l'été 2015 m'a permis de découvrir la richesse artistique et muséographique de ce petit pays européen. Mon intérêt pour ses peintres du début du XXe siècle m'a poussé à approfondir le sujet, sur lequel il n'existe que très peu d'informations en français. L'article qui suit est une tentative de synthèse de multiples informations collectées dans des publications en anglais, voire – j'ose l'avouer – dans des textes en estonien passés à la moulinette – plutôt le hachoir, la tronçonneuse – de Google traduction.

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Tartu, deuxième ville d'Estonie, au temps du nationalisme romantique

Dorpat Tartu tiré du site entsyklopeedia.ee.jpg

Tartu en estonien, Dorpat en allemand, Derpt ou Youriev en russe est la deuxième ville d'Estonie en termes de population et d'importance politique, administrative, commerciale, après la capitale Tallinn. Son rôle culturel est fondamental.

Comme l'ensemble de la région, elle connut des périodes successives d'occupation par les puissances voisines, depuis son origine au XIe siècle, jusqu'à la première indépendance de l'Estonie en 1917. D'abord simple forteresse, elle devint dès le Moyen-Âge un centre commercial et religieux important où furent fondées des premières écoles, en langue allemande. En effet, comme les autres villes baltes, elle se caractérisait par l'importance de sa population germanique, qui dirigeait la vie municipale et détenait les grands domaines agricoles alentours où travaillait la population estonienne autochtone.

En 1632, le roi de Suède, alors puissance occupante, Gustave II Adolphe y fonda une université. Fermée en 1721, lorsque commence la domination russe, elle fut ré-ouverte en 1802 et continua à accueillir principalement la communauté germanophone.

Toutefois, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, Tartu devint aussi le centre de l'éveil national estonien. Les Estoniens commençaient à accéder à l'éducation et à développer un sentiment national. C'était en effet l'époque du nationalisme romantique qui avait conquis le continent européen et animait les peuples dominés, dans l'espoir d'acquérir l'indépendance d'un Etat-nation. Ecrivains et artistes estoniens s'employaient alors à l'élaboration d'une littérature et d'un art national, synthèse d'influences extérieures multiples et de traditions folkloriques locales.

Dans ce cadre, la ville accueillit la Société savante estonienne en 1838, le premier festival de chants en Estonie en 1869, ainsi que le Vanemuine, le premier théâtre national estonien, en 1870. Elle vit aussi la fondation de la Société des écrivains estoniens en 1872.

C'est d'ailleurs à Tartu que fut fondé le mouvement nationaliste estonien Noor Eesti (Jeune Estonie) en 1905, courant auquel adhéraient certains artistes comme Konrad Mägi et Nikolai Triik qui en illustraient les publications.

Pourtant au XIXe siècle et au début du XXe siècle, les artistes estoniens partaient se former en Russie, principalement à Saint-Petersbourg, en Allemagne (Düsseldorf, Munich) ou à Paris, dans des écoles privées comme l'Académie russe.

Ants Laikmaa, le précurseur

Ants Laikmaa (1866-1942) était un peintre estonien, parti se former à Saint-Petersbourg et à Düsseldorf. Il rentra en Estonie en 1901, et y organisa la première exposition d'art estonien à Tallinn, puis à Tartu en 1906. En 1903, il ouvrit un atelier d'art à Tallinn pour accueillir des élèves et contribuer à la formation d'artistes estoniens. Il dut s'exiler entre 1905 et 1913, année où il rouvrit son école, qu'il anima jusqu'en 1932. Il était aussi l'initiateur de la première Société des artistes estoniens, fondée en 1907.

En 1913, fut aussi fondée à Tallinn l'Ecole des Arts appliqués, qui suivait le modèle de l'Ecole du Baron Stieglitz de Saint-Petersbourg, qui avait accueilli de nombreux jeunes estoniens.

La création de l'Ecole d'art Pallas

À la fin de la Première Guerre mondiale, en 1918, les nationalistes estoniens proclamèrent l'indépendance de l'Estonie, mais ils durent l'imposer par une guerre à la Russie bolchévik (ce fut beaucoup plus complexe que ce résumé). Le traité de Tartu, signé le 2 février 1920, entérina l'indépendance de l'Estonie.

C'est dans ce contexte que fut créée à Tartu la Société des Artistes Pallas (Kunstiühingu Pallas), animée par Konrad Mägi, Anton Starkopf et Ado Vabbe (1918). Premier groupe artistique estonien constitué, volontairement moderniste, avant-gardiste, il rassemblait cependant des artistes très différents, qui ne constituaient pas un courant formel homogène, même si on les qualifie souvent d'expressionnistes pour les années 1920. Sans parler des sculpteurs, ils étaient influencés par les multiples courants artistiques qui avaient fleuri en Europe à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, impressionnisme, symbolisme, Art nouveau, fauvisme, expressionnisme, futurisme, cubisme, etc.

membres fondateurs de la société des artistes Pallas, collection du Musée d'At estonien, site internet muis.ee.jpg Les membres fondateurs de la Société des artistes Pallas, collection du Musée d'Art estonien, Tartu, site internet muis.ee. Assis : Anton Starkopf, Aleksander Tassa et Konrad Mägi. Debout : August Alle, ?, Ado Vabbe et ?

C'est à l'initiative de Konrad Mägi, Anton Starkopf, Alexandre Tassa et Ado Vabbe que la Société des Artistes ouvrit le premier octobre 1919, des ateliers de sculpture, de peinture, d'arts graphiques et de dessin qui prirent le nom d'Ecole d'art Pallas (Kunstikool Pallas).

Evolution de l'Ecole

Elle suivait le principe des ateliers privés parisiens, où plusieurs artistes estoniens avaient séjourné avant la guerre. École mixte, de statut privé, elle fut réorganisée en 1921 pour offrir un véritable cursus d'étude ouvert aux débutants. Elle obtint un soutien financier de l'Etat estonien et déménagea dans de nouveaux locaux.

Pallas Kunstikool - photo d'Eduard Selleke - sur le site internet ajapaik.ee.jpg L'école supérieure d'art Pallas à Tartu - photographie d'Eduard Selleke - empruntée au site ajapaik.ee, qui, si je comprends bien, l'a lui-même emprunté au site de la Bibliothèque Nationale d'Estonie, digar.ee

En 1923, elle obtint le statut officiel d'ecole d'Art supérieur (Kõrgem Kunstikool) et devint diplômante en 1924. Entre 1924 et 1943, il y eut 90 diplômés, 61 peintres, 17 sculpteurs et 12 graveurs. L'école fit de Tartu un centre artistique majeur de l'Estonie indépendante.

Konrad Mägi dirigea l'école de 1919 à sa mort en 1925.

Les premiers professeurs furent Konrad Mägi (peinture), Anton Starkopf (sculpture et composition), Ado Vabbe (arts graphiques) et Voldemar Mellik (dessin). Leur nombre augmenta et dans les années 1930 d'anciens élèves de l'Ecole y devinrent enseignants, comme Eduard Wiiralt, Arkadio Laigo et Hando Mugasto. Des professeurs étrangers firent des séjours à l'école, comme les Allemands Georg Kind et Magnus Zeller.

à l'école Pallas, le 20 déc. 1929, collection du Underi ja Tuglase Kirjanduskeskus, muis.ee.jpg Professeurs et étudiants à l'école Pallas, le 20 décembre 1929, collection du Underi ja Tuglase Kirjanduskeskus, photographie en ligne sur le portail des musées estoniens, muis.ee.

Les cours de peinture étaient centrés sur l'étude de la nature, des paysages et des natures mortes ; mais aussi des études de nus, avec des modèles (en particulier des Tziganes) dont Magda Beck généralement appelée La Bayadère.

L'école organisait des voyages, en Allemagne au début des années 1920, puis à Paris jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale. Les années 1930 furent très inspirées par la culture et l'art français. Mais un intérêt se manifesta aussi pour l'art belge et hollandais.

Parallèlement, la Société Pallas organisait des expositions. Les premières présentèrent Otto Dix, Natalia Gontcharova et Mikhail Larionov.

Ecole Pallas, 1939, collection du musée de Tartu, site muis.ee.jpg Ecole Pallas, 1939, collection du musée municipal de Tartu, site muis.ee.

Les années 1920 furent expérimentales, avant-gardistes, influencées par l'expressionnisme allemand et le constructivisme russe, alors que les années 1930, dans un contexte européen et national de crise économique et de pouvoir autoritaire, virent le retour d'un art plus réaliste, tirant ses sujets de la vie locale et quotidienne.

atelier d'Ado Vabbe, 1939, collection du musée de Hiiumaa, site muis.ee.jpg L'atelier d'Ado Vabbe, 1939, collection du musée de Hiiumaa, site muis.ee.

Le contexte des années 1930 entraîna de nouvelles modifications du statut de l'Ecole qui entra dans une période d'instabilité financière.

Le pacte germano-soviétique du 23 août 1939 annonçait la disparition des pays baltes. Hitler cédait l'Estonie à l'URSS stalinienne, qui l'envahit en juin 1940. La soviétisation de la culture entraîna un changement de statut et d'enseignement pour l'Ecole Pallas. L'occupation allemande, entre 1941 et 1944 en consacra la disparition. En 1944, le bâtiment de l'Ecole brûla. Professeurs et élèves se dispersèrent.

L'école Pallas le 30 sept 1945, coll. du musée de la ville de Tartu, muis.ee.jpg

L'école Pallas détruite par le feu, photographie du 30 septembre 1945, collection du musée de la ville de Tartu, site internet muis.ee.

Dîplomés et étudiants :

Premiers diplômés : Eduard Wiiralt, Natalie Mei, Ferdi Sannamees, Kuno Veeber ; Eerik Haamer ; Felix Johanson-Randel, Hando Mugasto (graveurs) ; Karin Luts, Ida Adamson ; Karl Pärsimägi ; Arkadio Laigo ; Jaan Grünberg, Kristjan Teder, Juhan Muks (ces trois vécurent plusieurs années à Paris) ; Aleksander Vardi (post-impressioniste).

Nouvelle génération de la fin des années 1930 : Elmar Kits, Endel Kõks, Leppo Mikko et Alfred Kongo (moins réalistes, plus formalistes) ; Ella Mätik, Aino Bach, Agate Veeber, Salome Trei ; Eduard Rüga, Erich Pehap, Richard Kaljo ; Voldemar Haas ; Andrus Johani, Kaarel Liimand, Nikolai Kummits, Richard Uutmaa, Richard Sagrits, Priidu Aavik ; Erich Lips.

Sources :

Wikipedia en français traduit de Wikipedia en anglais : Tartu.

Wikipedia en estonien, passé au hachoir de google traduction : Pallas.

Textes du site Kunilaart.

Jonathan Blackwood, "Mapping Estonian modernism : Märt Laarmann and the Eesti Kunstnikkude Ryhm" dans Celina Jeffery et Gregory Minissale (dir.), Global and local art histories, Cambridge scholars publishing, Newcastle, 2007, p. 84-98, disponible sur Google livres.

Juta Kivimäe, Estonian art before ww2, in Art of the Baltics, The struggle for freedom of artistic expression under the Soviets, 1945-1991, Alla Rosenfeld et Norton T. Dodge (dir.), New Brunswick, 2002, p. 33-42, disponible sur Google livres.

Les photographies ont été recherchées à partie du moteur Google, puis des sites Ajapaik.ee (site collaboratif de collecte de photographies historiques de l'Estonie), Digar.ee (archives numériques de la bibliothèque nationale d'Estonie) et surtout Muis.ee, portail des musées nationaux estoniens.

Commentaires

  • Margit Ihlebakke

    Hello

    Bayadere was my grandmothers sister. My aunt Magda.

    Margit Ihlebakke Oslo

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