Des soldats du Millavois face à la Première Guerre Mondiale

Histoire(s)

Écrit par Jean-Yves Bou et publié le 29 Dec 2016

23 minutes de lecture

Une étude de 600 fiches de matricule des classes 1904 et 1914 des cantons de Millau, Peyreleau, Saint-Beauzély et Vezins

Merci à tous les contributeurs, en particulier Patrick Ozanne, président honoraire du Cercle Généalogique de l'Aveyron, qui m'a beaucoup aidé en indexant la moitié des fiches de matricules étudiées.

122e régiment d'infanterie collection privée.JPG Le 122e régiment d'infanterie, basé à Rodez, cliché non daté, collection particulière

Le 2 août 1914, le gouvernement français fit afficher un ordre de mobilisation générale, alors que la guerre était sur le point d'éclater. La plupart des jeunes des classes 1911 à 1913 étaient en cours de service militaire et les classes 1896 à 1910 furent appelées à rejoindre la caserne de leur régiment d'affectation. Les conscrits de la classe 1914, qui étaient passés devant le conseil de révision en mars et avaient été classés bons pour le service armé, ne devaient rejoindre leurs casernes qu'en novembre ...

On peut aujourd'hui consulter sur Internet les fiches de matricule de ces Français recensés par l'armée. Ces fiches permettaient à l'administration militaire de les suivre de leur vingtième anniversaire jusqu'à leur libération complète des obligations militaires. Les fiches établissaient leur état civil et leur signalement, suivaient le déroulement de leur service militaire et de leurs obligations de réservistes et précisaient leur parcours dans un conflit tel que la Première Guerre mondiale. Bien qu'elles puissent parfois être incomplètes, elles permettent de connaître assez précisément le destin de la "génération du feu".

Les prénoms utilisés dans l'article sont ceux qui apparaissent en premier sur la fiche de matricule. Ils étaient souvent différents du prénom d'usage.

La classe 1904 des cantons de Millau, Peyreleau, Saint-Beauzély et Vezins

Lieu de naissance et domicile

La classe 1904, celle des hommes nés en 1884, comptait 304 recensés pour les cantons de Millau (170), Peyreleau (34), Saint-Beauzély (44) et Vezins (56). La plupart étaient nés dans leur canton d'inscription (259 ou 85%), et pour les autres, l'inscription était généralement liée au domicile de leurs parents en 1904. Ainsi Octave Bonnet-Large, originaire de Corrèze, étudiant en droit mais engagé volontaire en 1904, était inscrit à Millau où résidaient alors ses parents, rue Alsace-Lorraine. Malgré leur jeune âge, quelques-uns (11) avaient déjà migré vers des grandes villes ou d'autres campagnes : Bordeaux et autour, Levallois-Peret (Jean Alibert, de Vezins, garçon charbonnier), Lyon, Marseille, Orléans et divers lieux dans l'Hérault. Signalons deux cas remarquables, Auguste Curvelier, de Peyreleau, étudiant en théologie à Montréal et Henri Bernad, de Ségur, professeur des Écoles chrétiennes au Caire. Ce dernier fut dispensé du service militaire

La répartition socio-professionnelle des jeunes de 20 ans était alors bien différente de celle d'aujourd'hui. Sur 304 fiches, dix ne mentionnent pas de profession. Sur les 294 autres, deux jeunes étaient qualifiés de propriétaires et quinze étaient étudiants, dont six séminaristes et un étudiant en médecine, Guillaume Pierre Calmels, de Millau. À l'âge de 20 ans, les 277 autres avaient un métier. 138 exerçaient une profession liée à l'agriculture. Les autres métiers et emplois étaient très variés, mais on note 37 jeunes dans les cuirs et peaux et 14 menuisiers. En pleine révolution industrielle, on trouve aussi bien un cocher qu'un mécanicien-ajusteur. À cette génération appartiennent Ulysse Causse, futur maire de Montjaux, alors professeur à Cauderan près de Bordeaux et Aimé Henri Richard, maréchal-ferrant, futur maire de Vezins.

Lors du conseil de révision, qui eut lieu en 1905, seize ne se présentèrent pas. Ils furent systématiquement classés "bons" pour le service armé. Mais trois d'entre eux n'ayant donné aucune nouvelle furent considérés comme insoumis. Plusieurs années après, l'administration militaire fut informée que l'un d'entre eux était mort en bas-âge, en 1886. C'était peut-être aussi le cas des deux autres. Les 301 restants furent répartis en fonction de leur état sanitaire et physique, soit classés "bons" pour le service armé, soit versés dans le service auxiliaire, soit exemptés s'ils avaient un problème de santé jugé définitivement rédhibitoire, ou encore ajournés si le médecin-major jugeait qu'ils pourraient servir plus tard. Les ajournés passèrent devant le conseil de révision de 1906, où certains furent réajournés, et en 1907 une décision finale fut prise à leur égard : service armé, service auxiliaire ou réforme.

Avant le conseil de révision de 1905, dix-neuf s'étaient déjà engagés volontairement dans l'armée. Plusieurs étaient partis dans l'aventure coloniale comme Clément Galière, de Saint-Léons, qui, devenu sous-officier, passa quatre ans en Chine et quinze mois à Madagascar entre 1908 et 1914. De son côté, Alexis Grezes, également de Saint-Léons, s'engagea après le conseil de révision, en octobre 1905, dans le cadre de l'École polytechnique. Il devint sous-lieutenant dans l'artillerie puis fut affecté dans le génie en 1910.

Au final, 31 furent exemptés ou réformés entre 1905 et 1914, plus d'un sur dix. Les raisons étaient multiples : problèmes de vue, surdité, faiblesse de constitution, fracture mal consolidée, amputation d'une jambe, problèmes cardiaques, hernie, et plusieurs cas de tuberculose ou de "bronchite spécifique". Parmi eux, sept moururent avant 1914.

Trois des 31 avaient été intégrés dans le service auxiliaire avant 1914. Il s'ajoutaient aux 28 autres également classés dans le service auxiliaire, c'est-à-dire ayant des fonctions d'aide dans les divers régiments, mais sans être combattants. La raison généralement mise en avant se limite à "faiblesse", mais il y aussi des cas de surdité, de bégaiement, de problèmes de vue, de varices (5), de déformation du thorax, d'ostéite et de bronchite. Cinq d'entre eux moururent avant 1914.

Au total 248 avaient fait tout ou partie de leur service militaire : des engagés volontaires avaient fait trois ans ou plus, les jeunes sans dispense avaient fait deux ans, les jeunes d'abord ajournés puis incorporés l'année suivante ne faisaient que 17 mois, des jeunes dispensés pour des raisons familiales (aînés de veuve ou de famille nombreuse, ou fils uniques de veuve ou de septuagénaire, jeunes ayant un frère également au service militaire) n'avaient fait qu'un an en moyenne, et d'autres avaient été réformés ou versés dans le service auxiliaire pendant leur service militaire. Trois étaient morts pendant le service, dont deux de méningite tuberculeuse et de broncho-pneumonie.

Entre 1905 et 1914, la plupart avaient gardé le même domicile et la même profession, mais d'autres avaient changé leur destin : Justin Noyrigat, charron de Saint-Laurent-du-Lévézou, était devenu miroitier à Paris (1908) ; Clément Boussaguet, menuisier de Montjaux, était parti à Lyon, Paris (1909), Alger (1912) puis Rabat, où il mourut en 1913 ; Louis Auguste Rivière, de Castelnau, travaillait dans les chantiers navals de Tunisie ; Paul Elie Aldebert, de Millau, ingénieur conseil, avait successivement travaillé en Tunisie (1907), en Italie (1909), dans le Doubs (1911), à Saint-Petersbourg (1902), à Mons-en-Bareuil (1913) et à Bakou (1914).

Amans Fiches, du Viala-du-Tarn, était étudiant ecclésiastique avant de s'engager dans l'armée en novembre 1904. Son statut d'étudiant lui permettait de ne faire qu'une année, mais il se rengagea en 1905, puis de nouveau en 1909, après un an et demi de disponibilité et devint sergent en 1910. Une fois réserviste, il entra aux Chemins de fer du Midi à Sète.

Ulysse Causse, dispensé d'un an de service militaire comme étudiant candidat à la licence, devint caporal au 61e régiment d'infanterie. Puis il abandonna son métier de professeur pour entrer aux Chemins de fer du Midi où il devint cadre.

Un jeune de l'échantillon avait été condamné en 1911 à six ans de prison pour coups et blessures ayant occasionné une infirmité permanente. En 1914, il purgeait sa peine.

Entre 1904 et 1910, 23 étaient morts, dont plusieurs de la tuberculose.

En 1914, les 278 survivants (91%) avaient donc 30 ans. Un était en prison, 36 (13% des 278) avaient été exemptés ou réformés et 26 (9%) avaient été classés dans le service auxiliaire. Deux des réformés s'engagèrent volontairement dès le début du conflit, les autres, réformés, exemptés et auxiliaires, attendirent d'être convoqués devant une commission de réforme, ce qui n'advint qu'en décembre 1914. 215 (77%) étaient a priori bons pour être incorporés immédiatement dans l'armée. 213 rejoignirent leur caserne, mais deux ne se présentèrent pas ...

La classe 1914 des cantons de Millau, Peyreleau, Saint-Beauzély et Vezins

Lieu de naissance et domicile

La classe 1914, les jeunes nés en 1894, comptait 296 inscrits pour les cantons de Millau (182), Peyreleau (39), Saint-Beauzély (40) et Vezins (35). 260 (87,8%) étaient nés dans leur canton d'inscription. Ce n'était pas le cas de Marcel Réfrégier, né à Saint-Petersbourg où ses parents étaient alors gantiers. Ils étaient rentrés à Millau, mais lui était resté en Russie. La mobilité des jeunes de la classe 1914 avait été supérieure à celle de la classe 1904 : 32 % avaient changé de canton avant leur 20e anniversaire, contre 23 % pour leurs aînés. 49 se trouvaient ailleurs en France que dans l'Aveyron (contre onze en 1905) dont un peu plus de la moitié à Paris et sa banlieue et onze dans l'Hérault. Les autres étaient à Bordeaux, Chartres, Châteauneuf-de-Charente, Cluny, Douai, Grenoble, Laon, Limoges, Marseille et Niort. Outre Marcel Réfrégier, deux autres vivaient à l'étranger : Alexandre Juéry, de Montjaux, instituteur libre en Belgique et Étienne Durand, de Millau, mécanicien habitant à Londres.

Les professions sont mentionnées sur 285 fiches : 16 étaient étudiants, 124 avaient des professions liées à l'agriculture, 26 travaillaient dans les cuirs et peaux et il y avait aussi 14 menuisiers. On trouve 17 employés dans l'hôtellerie-restauration, contre huit en 1904 : garçons d'hôtel, garçons de café et garçons limonadiers, dont onze à Paris et en banlieue. Également en augmentation, le nombre de comptables et d'employés des postes et des contributions indirectes : moins de métiers dans les secteurs primaire et secondaire au profit du secteur tertiaire.

Le conseil de révision se déroula en mars 1914, le 9 à Peyreleau, le 11 à Vezins, le 13 à Saint-Beauzély et le 14 à Millau, en présence du préfet, du conseiller de préfecture, d’un général, d’un intendant militaire, d’un médecin-major, d’un conseiller d’arrondissement et d’un conseiller général. Certaines décisions furent renvoyées au 16 juin, pour les jeunes habitant loin et examinés ailleurs ou pour les dossiers incomplets. Plusieurs lois avaient modifiées les conditions du service militaire depuis 1904 : suppression des dispenses en 1905, remplacées par des sursis d'incorporation, et en 1913, allongement du service à trois ans. Le conseil de révision décida que 203 jeunes étaient bons pour le service armé (68,5%), 12 pour le service auxiliaire (4%), 13 furent exemptés (4,5%), 40 ajournés (13,5%), 9 obtinrent un sursis, alors que 16 étaient déjà engagés (5,5%) et que 3 étaient inscrits ailleurs. Initialement, le service militaire aurait dû commencé en novembre 1914 mais la classe 1914 fut finalement appelée fin août - début septembre, un mois après la déclaration de guerre, alors que les Allemands étaient à 30 kilomètres de Paris, après les sanglantes batailles de Belgique.

Quels destins connurent ces hommes au cours de la guerre ... ?

Deux générations dans la Guerre

tableau soldats 1GM.JPG

La première ligne du tableau donne le nombre total de mobilisés, qui ne représente qu'une partie des hommes inscrits sur les listes de recensement militaire, car certains moururent avant le guerre et d'autres furent réformés définitivement pour leurs problèmes de santé.

Le terme "mobilisé" recouvre des parcours très variés. Variés par la nature de la mobilisation : service armé, service auxiliaire, détachement dans l'industrie, affectation aux chemins de fer ou aux services télégraphiques. Variés par le type de régiments d'affectation des militaires : infanterie, artillerie, génie, transports ("escadrons du train des équipages"), intendance ("sections de commis et ouvriers militaires d'administration"), soins, marine, aviation, etc. Variés par la durée de l'engagement dans tel ou tel service, en fonction des besoins, des impératifs, des circonstances. Ainsi, alors que Guillaume Calmels passa toute la guerre comme médecin aide-major à l'ambulance, ou que Alexis Grèzes et Paul Aldebert furent sous-officiers dans le génie pendant cinq ans, Octave Bonnet-Large eut un parcours complexe : incorporé dans le 300e régiment d'infanterie en 1914, il fut blessé par une balle au bras gauche en avril 1915. Après un an de soins et de convalescence, il fut intégré dans le service automobile d'un régiment d'infanterie. Il changea ensuite huit fois d'affectation avant sa démobilisation en février 1919, alternant entre l'artillerie et le train des équipages. Autre exemple, Auguste Curvelier fut d'abord affecté à la 16e section d'infirmiers. En juin 1916 une commission de réforme le transféra dans le service auxiliaire pour bronchite ; il fut reclassé service armé en janvier 1917 et rejoignit le 122e régiment d'infanterie puis termina la guerre dans le 146e. Quant à Justin Noyrigat, incorporé dans le 7e régiment du génie, il fut blessé lors de l'attaque de Saint-Mihiel dans la nuit du 12 au 13 octobre 1914. Il fut ensuite versé dans le service auxiliaire d'abord dans une section des commis et ouvriers militaires, puis de nouveau dans le génie. Il garda une gêne pour marcher, mais n'eut pas droit à une pension d'invalidité.

Détachés dans l'industrie

Douze mobilisés de l'échantillon furent détachés dans l'industrie toute ou partie de la guerre. Parmi eux, Eugène Bion, cultivateur de Saint-André de Vézines, fut brigadier de four à zinc à la Vieille Montagne à Viviez, Émile Boussaguet, palissonneur, rentra à Millau en 1916 pour travailler à la tannerie Guibert de Creissels, Clément Lafon, de Saint-Georges, fut détaché à la société Chaux Magnerie de Clermont-l'Hérault, Joseph Laurens, ébéniste, et Gaston Lacas, serrurier de Millau, travaillèrent dans une poudrerie, Marcel Lacombe, gantier de Millau, dans une verrerie, alors que Marius Alric, originaire d'Aguessac, resta mineur à La Grand-Combe dans le Gard.

Cheminots et Télégraphistes

Les employés des Chemins de fer du Midi, d'Orléans et du P.LM. (c'était avant le S.N.C.F.) et les employés des PTT spécialisés dans la télégraphie eurent des affectations spéciales liées à leur métier : ils furent maintenus dans leur poste, ou affectés aux chemins de fer ou aux unités de télégraphistes nécessaires pour lier le front et l'intérieur. Ainsi Ulysse Causse et Amans Fiches furent maintenus à la disposition des Chemins de fer du Midi, alors que Léon Bernat, cheminot à Millau, fut affecté à la 7e section des chemins de fer de campagne. Henri Ragot, employé des PTT de Millau, fut d'abord intégré au bataillon des sapeurs télégraphistes, puis à la compagnie télégraphiste de la 10e armée. Remis à la disposition des PTT en janvier 1916, il fut rappelé à l'activité militaire en avril et versé dans le 8e régiment du génie.

Combattants en Orient

Sept soldats de la classe 1904 et 24 de la classe 1914 combattirent en Orient, autour de Salonique au nord de la Grèce et de Monastir, alors en Serbie (aujourd'hui Bitola en Macédoine). Ils y restèrent entre trois et 23 mois, parfois pendant une partie de l'année 1919. Ainsi Charles Calmes, jeune comptable de Saint-Georges, du 58e régiment d'infanterie, embarqua le 23 février 1917 et débarqua à Salonique le 25. Après les combats de Macédoine et la défaite de la Bulgarie, il se retrouva à Odessa en décembre 1918, puis en Bessarabie, dans le cadre du soutien militaire français aux armées russes antibolchéviques. Il fut évacué en juillet 1919.

Cinq soldats de la classe 1914 moururent dans la région de Monastir : Joseph Valery, de Ségur, garçon de café à Paris avant la guerre, Jean Alfred Chauchadis, de Millau, tué accidentellement et enterré au cimetière militaire de Monastir, Henri Conduché, d'Azinières, tué en résistant à une attaque bulgare, Louis Douziech, né à Rodez, marchand de bois à Millau et Félix Arlès de Millau, cultivateur à l'Hospitalet, touché par un gros éclat d'obus. Un sixième soldat, Henri Izard boulanger à Saint-Léons, fut tué lors de la seconde bataille de Skra-di-Legen, en Macédoine grecque. Quant à Jean Albert Maumy, né à Génillé dans l'Indre-et-Loire, garçon limonadier à Millau en 1914, il fut blessé quatre fois pendant la guerre, dont trois fois en Serbie.

Morts pour la France

L'échantillon compte au total 116 morts pour la France, soit 21,2 % des mobilisés. Rappelons que pour l'ensemble du pays on compte environ 1,4 millions de victimes militaires pour 8 millions de mobilisés (17,5 %). La variation était grande d'une classe à une autre et d'un canton à un autre, et l'échantillon étudié ici n'est représentatif que de lui-même.

Pour la classe 1904, le premier des 49 soldats à tomber fut Jean Austruy de Millau, caporal au 342e régiment d'infanterie, le 19 août à Beauséjour dans la Marne. Derrière ce nom de lieu se cache un des endroits les plus meurtriers du front. Jean Austruy fait partie des 25 morts en 1914 de la classe 1904, soit la moitié des victimes de ce groupe. En novembre 1914, la participation du 342e régiment d'infanterie (les réservistes de Mende) à la première bataille d'Ypres causa le tiers des pertes de la classe 1904. C'est autour du village de Wytschaëte qu'ils tombèrent massivement. Le nombre de morts diminua ensuite : dix en 1915, cinq en 1916, cinq en 1917, trois en 1918. Enfin, deux autres soldats moururent d'une tuberculose contractée au front, respectivement en 1919 et 1926, et furent inscrits parmi les Morts pour la France.

extrait du Livre d'or de l'Aveyron, par Vigarié.JPG Extrait du Livre d'or de l'Aveyron d'Emile Vigarié

La classe 1914 ne fut incorporée qu'en septembre, et participa moins aux combats les plus meurtriers des premiers mois. Il se trouve cependant que le premier soldat touché de cette classe était le frère du précédent, Louis Austruy, engagé volontaire en avril au 122e régiment d'infanterie. Il disparut trois jours après son aîné, à Lunéville (Meurthe-et-Moselle). Deux autres soldats de la classe tombèrent en 1914. Ils furent quarante en 1915 (60 %), dix en 1916, huit en 1917 et six en 1918. Étant davantage dispersés entre plusieurs régiments que leurs aînés, leurs lieux et dates de décès le sont aussi. Il y a toutefois une pointe début 1915 dans la Marne (Massiges, Beauséjour). C'est aussi à ce moment qu'Arthur Albouy de Vezins, engagé dans la marine, disparut dans le naufrage du Bouvet, touché par une mine aux Dardanelles.

Blessés survivants

Pour la classe 1914, deux tiers des 116 soldats blessés le furent une seule fois, mais 22 % reçurent deux blessures, 9 % trois et 3% quatre. 53 % retournèrent au combat jusqu'à la fin, alors que les autres furent réformés ou classés dans le service auxiliaire.

musée de Péronne.JPG Musée de Péronne

Deux tiers furent touchés par des éclats d'obus, voire de bombe, de torpille, de mine et de grenade, un cinquième fut atteint par des balles et les autres se partagent entre intoxiqués aux gaz ou victimes d'accidents divers.

Une commission examinait les soldats qui demandaient une pension. Elle pouvait être définitive ou temporaire, ce qui conduisait à un nouvel examen. Un barême était défini en fonction du type de séquelles et de leur gravité. La pension maximum s'élevait alors à 2400 francs, et la minimum était de 10%, soit 240 francs.

Une mention spéciale revient à Ferdinand Bouat de la classe 1904, né à Pont-de-Salars, enregistré à Vezins en 1905 et cultivateur à Vimenet depuis 1910. Soldat du 24e bataillon de Chasseurs à pieds, il fut blessé cinq fois par des éclats d'obus, à la machoire, à l'épaule, à un bras, au thorax et aux jambes : en février 1915, en avril 1916, en octobre 1917, en septembre 1918 et le 3 novembre 1918. Ses cicatrices et séquelles de fracture lui valurent une pension de 20 %.

Malades

Les fiches de matricule étudiées font mention de 60 cas de soldats touchés par une maladie pendant la période de guerre. Cela concerne aussi bien des affections bénignes qui ont demandé deux semaines de repos avant un retour au front, que des pathologies ayant entraîné le décès ou de lourds séquelles. Pour un tiers des cas, la pathologie n'est pas indiquée. Un autre tiers concerne des bronchites, pleurites, pleurésies et tuberculoses pulmonaires. Le dernier tiers comprend six cas de typhoïde, cinq cas de troubles gastriques, trois cas de paludisme (contracté en Orient) et des pathologies variées qui ne touchent qu'un soldat.

Prisonniers

Onze mobilisés de la classe 1914 et 32 de la classe 1904 furent faits prisonniers par les Allemands. D’abord considérés comme « disparus », leur sort était connu par un avis communiqué par l’ennemi. Le délai pouvait être assez long. Par exemple pour Omer Grailhe de Rivière, disparu le 5 novembre 1916, l’avis officiel date du 6 juin 1917. Les prisonniers furent libérés et rapatriés entre novembre 1918 et février 1919, sauf un cas de prisonnier blessé en 1914, libéré dès 1915. Ainsi, en fonction de leur date de capture, ils passèrent entre six et 51 mois dans un camp en Allemagne, d'où ils pouvaient être affectés à différentes tâches.

Parmi eux, Damien Valière, de Vezins, classe 1914, d'abord affecté dans le service auxiliaire pour atrophie légère de la jambe droite et hydarthrose puis reclassé service armé en décembre 1914, il fut incorporé le 7 janvier 1915 dans l’infanterie. Fait prisonnier en 1916, il fut rapatrié le 10 novembre 1918 atteint de la tuberculose et mourut le 4 décembre à l’hôpital d’Avignon.

Insoumis et déserteurs

Derrière ces deux mots, longtemps considérés comme infamants, mais auxquels certains, comme Boris Vian, ont rendu leur dignité, se cachent des réalités extrêmement variées. Les notices qui suivent, tirées des informations incomplètes des fiches de matricule, ne doivent pas être surinterprêtées.

Alexandre Juéry, de Montjaux, classe 1914, fut déclaré insoumis le 28 janvier 1915, ne s'étant pas présenté à sa caserne depuis août 1914. Il fut rayé des contrôles de l'insoumission le 6 avril 1918 quand il fut clairement établi qu'il se trouvait en Belgique, comme instituteur libre dans un école catholique, début août 1914 et s'était retrouvé "retenu en pays envahi", dans la zone occupée par les Allemands, avant de pouvoir regagner son unité. Clément Alric, classe 1904, qui avait fait sa période d'exercices militaires en 1913, n'est jamais réapparu ensuite. Charles Lagarde de Millau, classe 1914, déclaré "bon absent" au conseil de révision de mars, n'a jamais rejoint, et sa fiche se contente de signaler son décès en 1922 à Montpellier. Hippolyte Andrieu, de Millau, classe 1904, était devenu vagabond en Languedoc après avoir été réformé en 1907 pour imminence de tuberculose. Il ne se présenta pas en 1914. Arrêté par la gendarmerie de Montpellier en octobre 1915, condamné à six mois de prison, il fut affecté dans l'infanterie et mourut sur le front en mai 1917. Il est inscrit sur les monuments aux morts de Millau. Louis Julié, cultivateur à Millau, classe 1914, réformé du service militaire en 1906 pour bronchite suspecte, classé service armé en 1914, incorporé au 96e régiment d'infanterie, évacué malade le 22 août 1915, déclaré déserteur le 15 janvier 1916, n'est jamais réapparu. Louis Frayard, né à Rennes, classe 1914, fut plusieurs fois condamné pour vol, mendicité et abus de confiance entre 1911 (il avait 17 ans) et 1914, par les tribunaux de Montpellier, Lyon, Nogent-le-Rotrou, Valence, Millau, Albi, Riom et Narbonne. En mars 1914, il fut déclaré menuisier rue Peyrollerie, mais il finit l'année en prison. Incorporé le 5 septembre 1915 dans le 2e bataillon d'infanterie légère d'Afrique, il fut condamné pour "désertion à l'étranger en temps de guerre avec circonstances attenuantes" à un an de prison par le conseil de guerre de Casablanca en décembre 1917. Devenu ébéniste dans le Midi après la guerre, il n'eut plus à faire à la justice. Remobilisé en mai 1940 dans le service auxiliaire malgré la perte totale de la vue de l'œil droit, il fut définitivement libéré de ses obligations militaires le 6 août 1940. Léon Régis, de Saint-Léons, classe 1904, parti à Paris avant la guerre, incorporé dans le 342e régiment d'infanterie en 1914, fut blessé à la tête par un éclat d'obus à Dixmude en Belgique le 11 septembre 1914. Il repartit au front, mais en 1917 il fut condamné pour "désertion en présence de l'ennemi" à cinq ans de prison. Il fut enfermé à Clairvaux et libéré en 1921. Louis Benoit, de Saint-Germain, classe 1914, fantassin au 122e régiment d'infanterie, fut blessé quatre fois entre octobre 1915 et août 1917, en particulier à la tête. Déclaré déserteur le 12 août 1918, il fut arrêté par les gendarmes de Millau et ramené à sa caserne le 6 mars 1919, d'où il s'évada la nuit suivante. De nouveau arrêté le 16 juin, il fut condamné le 21 janvier 1920 à un an de prison avec sursis pour "désertions à l'intérieur en temps de guerre avec circonstances atténuantes". La commission de réforme de 1920 lui refusa une pension. En 1924, il fut condamné à quatre ans de prison pour vol et port d'arme prohibé. En 1929 – après avoir purgé sa peine ? - il fut définitivement réformé de ses obligations militaires pour épilepsie traumatique et troubles psychiques. C'est seulement à cette date que ses séquelles furent effectivement reconnus et que sa fiche mentionne qu'il avait été trépané suite à ses blessures de guerre. En 1937 il devint hémiplégique et il mourut en 1938.

Victor Bernad, de Prunhac de Ségur, fut fantassin sur le front pendant toute la guerre. Il fut déclaré déserteur le 25 novembre 1918, mais se présenta le 3 décembre. Il fut condamné à 3 mois avec sursis.

Tout autre fut le destin de Gabriel Delmas, né à Saint-Beauzély, classe 1914, maçon à Millau avant la guerre, d'abord incorporé dans le 2e régiment de zouaves. Il mesurait 1,69 mètres, avait les cheveux châtain clair, les yeux châtain verdâtre, le front vertical, le nez cave et sinueux et le visage long. Il était tatoué d'un buste de femme en profil sur le bras gauche, un dé sur le bras droit et trois points entre le pouce et l'index de la main gauche. Nommé caporal en juin 1915, il fut blessé en août près d'Ypres, avec des plaies multiples aux deux jambes, au bras droit, à la main droite, à la poitrine et à la tête et une perforation du tympan droit. Classé service auxiliaire en 1917 pour impotence fonctionnelle de la jambe droite, il servit dans le 20e escadron du train des équipages. En mars 1919, il participait à la mission française en Sibérie. Il fut finalement déclaré déserteur le 28 mars 1919, ne s'étant pas présenté à l'embarquement à Honolulu ...

Pour aller plus loin : parmi les très nombreux ouvrages sur la Grande Guerre, celui qui a servi de modèle à cette étude est le livre de Jules Maurin, Armée – Guerre – Société : soldats languedociens (1889-1919), Publications de la Sorbonne, Paris, 1982. Il étudie 30 classes de soldats lozériens et bitterois.

Sur internet :

Le site Mémoire des Hommes du Ministère de la Défense

Le site combattant.14-18

Le site du chtimiste

Le site cartographie 1914-1918

Et sur les prisonniers de guerre

Jean-Yves Bou.

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