Des plans de paroisses du XVIIIe siècle

Atlas du Rouergue

Écrit par Jean-Yves Bou et publié le 07 Dec 2024

8 minutes de lecture

Pour fabriquer l'Atlas du Rouergue à la veille de la Révolution française, et plus particulièrement reconstituer les territoires paroissiaux d'Ancien Régime, j'ai tenté de m'appuyer sur des documents cartographiques de cette époque. Mais ils sont particulièrement rares. Et d'autant plus précieux. Cet article se propose d'en présenter quelques-uns.

Le plan de la paroisse d'Anglars-Basse-Marche : représenter la dispersion de l'habitat

Anglars, chef-lieu de commune (aujourd'hui Anglars-Saint-Félix) et ancien chef-lieu de paroisse, de seigneurie et de communauté d'habitants, est un village qui se situe dans la partie occidentale de l'Aveyron (ancienne Basse-Marche du Rouergue), à l'ouest de Rignac sur la route de Villefranche-de-Rouergue.

C'est pour accompagner sa réponse à la grande enquête lancée par l'évêque de Rodez Jérôme Champion de Cicé en 1771, que le curé Cahuac dessine et joint un plan de sa paroisse. Son objectif est d'illustrer ses réponses aux questions concernant l'étendue de la paroisse, le nombre de villages et d'habitants. Les réponses à l'enquête ont été publiées par l'archiviste Louis Lempereur sous le titre Etat du diocèse de Rodez en 1771 (Rodez, 1908), mais l'éditeur a estimé que la reproduction du plan n'était pas utile (note 2, p. 415). Guillaume Cahuac est d'ailleurs le seul à avoir pris l'initiative de dessiner un plan.

« Je joints ici un plan de la paroisse, assés mal tiré, mais qui donnera néanmoins quelque notion de la dite paroisse », Guillaume Cahuac, curé d'Anglars, 1771.

AD 12 G 21 Anglars et carte.JPG Le plan de la paroisse d'Anglars en 1771 (AD12, 1 G 20) confronté à ma proposition de carte (en bleu la rivière Alzou)

Dans le rectangle de la feuille - format portrait - comme si la paroisse était elle-même rectangulaire, le nord en haut, le curé a inscrit les noms des lieux habités, relativement à leur position géographique, avec leur nombre de maisons et de communiants. Les distances relatives entre lieux-dits semblent bien respectées, sauf peut-être pour La Carrayrie, trop à droite de la page, et Masméja, un peu trop à gauche.

L'auteur a écrit dans les marges, de manière moins rigoureuse, le nom des paroisses limitrophes, et signalé « le grand chemin vieux de Villefranche a Rodez » comme limite méridionale de sa paroisse avec celle de Prévinquières (aujourd'hui route départementale 47, qui fait limite communale).

AD 12 G 21 Anglars - détail.JPG détail (AD 12, 1 G 20)

Un trait horizontal droit traverse la feuille presque à mi hauteur. Sous le trait, la légende : « Alzou ruissaud très incommode, qui empeche souvent le service de tous les villages de ce coté cy faute d'un pont ». Ce texte rappelle les argumentaires déployés dans les demandes de vicaire supplémentaire ou de création d'une paroisse annexe. Mais ce n'est pas le cas ici, puisque le curé affirme plus loin que lui et son vicaire suffisent au service de la paroisse.

Le plan de 1771 ne montre pas que la paroisse s'étendait sur les territoires de trois seigneuries et communautés : celle d'Anglars (A) dont le seigneur était l'abbé de Bonnecombe, également décimateur de la paroisse, celle du Mas-de-las-Mansies (A'), dont le roi était seigneur, et une partie celle de Privezac, co-seigneurie (1).

Ce plan est très simple. Il apporte peu d'informations précises sur le territoire paroissial, à part les deux notations relevées, mais il illustre parfaitement le propos de son auteur.

Un plan pour demander le déplacement de l'église paroissiale, à Saint-Mémory - ou La Madeleine de Villefranche-de-Rouergue

Cinq cartons de la série G des Archives départementales de l'Aveyron (fonds de l'évêché de Rodez) concernent les demandes d'établissement de vicaire, de création d'une annexe ou d'une nouvelle paroisse, voire de transfert de hameaux d'une paroisse à une autre. Ces cartons contiennent quelques plans pour appuyer certaines réclamations.

Le plus ancien plan date de 1669. Il accompagne une requête du vicaire de la "paroisse" Saint-Mémory - ou La Madelaine - alors annexe de Villefranche-de-Rouergue, où le vicaire résidait. Il demande le transfert du culte, de l'ancienne église située à l'extrémité sud-est du territoire de l'annexe, à une chapelle dite Notre-Dame-des-Treize-Pierres, placée au nord-est de la paroisse, plus proche de la ville de Villefranche. Cette chapelle avait été bâtie en 1510, et servait de lieu de culte à un séminaire fondé en 1648 (André Aincourt, "La Madeleine-Saint-Mémory, notes pour servir à l'histoire d'une paroisse", dans Mémoires de la Société des Amis de Villefranche et du Bas-Rouergue, n°1, 1941).

Ce plan est plutôt une esquisse, tracée rapidement à la plume. L'auteur n'a pas indiqué l'échelle, ni l'orientation. Il a placé l'ouest en haut, comme si la paroisse était vue depuis Villefranche, mais la position des lieux-dits et leurs distances relatives ne sont pas respectées. On a en effet l'impression que tous les habitats dépendant de Saint-Mémory sont situés au nord de la paroisse (à droite du dessin), proches de la chapelle Notre-Dame.

AD 12 G 312 St Mémory.JPG Esquisse de la paroisse Saint-Mémory - ou La Madeleine de Villefranche-de-Rouergue (1669, AD 12, 1 G 312)

Paroisse Saint-Mémory par JYBou.jpg Ma reconstitution de la paroisse Saint-Memory, orientée comme le plan de 1669

En confrontant l'esquisse avec une carte réalisée à partir d'un fond IGN récent, on note les distorsions opérées par le vicaire. Dans la réalité, les habitants sont beaucoup plus dispersés sur l'ensemble du territoire paroissial. Par exemple le hameau de Bonnet (ou Bonet), qui semble à l'extrémité nord de la paroisse sur le dessin, est en réalité situé au centre.

Les registres paroissiaux laissent penser que le culte fut effectivement transféré à Notre-Dame-des-Treize-Pierres en 1673 (première mention "de la pnt église nre dame des 13 pierres"). Mais la suite est ambiguë : on trouve alternativement les deux dénominations. En 1676, certains paroissiens sont enterrés dans le cimetière de Notre-Dame et d'autres dans celui de La Madelaine. Finalement, le nom de Notre-Dame des-Treize-Pierres disparaît des registres (AD 12, 2 E 300 M 10).

Toujours est-il que ce rapide dessin montre davantage l'artifice visuel utilisé pour appuyer un argumentaire, qu'il n'apporte d'informations territoriales, et historiques.

Où implanter l'église d'une nouvelle paroisse ?

Le cas de Douzoulet

Dans les années 1780, plusieurs groupes de paroissiens de l'immense paroisse de Rieupeyroux demandent à former de nouvelles paroisses, sur la base des communautés d'habitants, dont les territoires sont différents. C'est le cas des habitants de la communauté des Bleysses (ou Bleys ou La Capelle-Bleys), qui obtiennent la création d'une nouvelle paroisse.

Un dossier à ce sujet est conservé dans le carton 1 G 315 des archives départementales de l'Aveyron. Il comprend la copie du décret épiscopal de création de la nouvelle paroisse, des lettres patentes royales et de l'arrêt du parlement de Toulouse qui la confirment, mais également le brouillon du décret, accompagné du plan dont il est question.

Ces documents montrent la complexité de la procédure de création d'une nouvelle paroisse. La requête des habitants de la communauté des Bleysses ayant été prise en compte, l'évêque ordonne une enquête, pour vérifier les arguments des requérants. Il veille aussi à obtenir l'accord des parties concernées : le curé de Rieupeyroux, et les decimateurs de la paroisse - le chapitre de Saint-Martial de Limoges et les séminaires de Rodez, Laguiole et Saint-Geniez. Les conclusions de l'enquête sont très favorables aux requérants et motivent la décision.

Le décret établit précisément les limites de la paroisse, ce qui en fait l'une des rares paroisses d'Ancien Régime en Rouergue dont on puisse dessiner les contours de façon certaine.

Le plan a d'abord été dessiné à la mine de plomb, puis repassé à l'encre, à l'exception des dessins d'églises en haut de la feuille.

Il est orienté, l'ouest (levant) en haut, le midi à droite, le couchant en bas et le nord à gauche (7on pour septentrion). Mais cette orientation ne correspond pas à la réalité. La reconstitution qui suit montre l'orientation grossière de la carte si l'on prend en compte la répartition des lieux-dits. Mais, par ailleurs, la représentation très schématique de la grande route de Villefranche à Rieupeyroux et du ruisseau, qui structurent l'espace de la carte, ne collent pas avec cette orientation et sont même erronés. Il s'agit donc davantage d'un schéma que d'une carte ou d'un plan.

AD 12 G 315 Douzoulet.JPG plan pour la nouvelle paroisse de Douzoulet (1780-1781, AD 12, 1 G 315)

41 Capelle-Bleys (La) - Copie - Copie - Copie.jpg reconstitution de la paroisse de Douzoulet, approximativement orientée comme le plan du XVIIIe siècle

Le schéma indique les lieux habités par des petits rectangles. Leurs noms sont accompagnés du nombre de maisons (m.) et du nombre d'habitants (hab.). Ils sont reliés à Douzoulet par des tiretés, signifiant les chemins, avec le temps de parcours en minutes (min.).

Comme dans le cas précédent, il s'agit d'appuyer un argumentaire par une représentation visuelle. Elle apporte cependant davantage d'informations sur le territoire paroissial, bien que déformé par la schématisation.

S'opposer à un transfert de hameaux : la carte du curé de Carcenac-Salmiech

L'un des documents les plus riches en terme de territoire paroissial est la carte accompagnant un mémoire du curé de Carcenac-Salmiech en opposition à l'initiative des prêtres voisins de Saint-Amans-de-Salmiech de demander un transfert de hameaux affectant trois paroisses.

Mal écrit, raturé, il semble difficilement lisible. Mais grâce au texte qui l'accompagne, on peut en tirer de multiples enseignements.

AD 12 G 316 Carcenac Peyralès.JPG Carte dessinée par le curé de Carcenac-Salmiech (AD 12, 1 G 316, 1789)

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