Des Dauphinois en Rouergue aux XVIIe et XVIIIe siècles
Migrations
Écrit par Jean-Yves Bou et publié le 27 Jan 2017
7 minutes de lecture
C’est en étudiant le cas des quatre Dauphinois installés à Saint-Léons à la fin du XVIIe siècle que je me suis intéressé à ce sujet ; une conversation avec Frédéric Périer, président du Cercle Généalogique de l’Aveyron, m'a incité à l'approfondir.
Cet article repose sur l'analyse des actes de la base de donnée du Cercle Généalogique de l’Aveyron. Cette base intègre essentiellement des actes de la partie orientale et centrale du Rouergue, et le notariat de Rodez dépouillé par M. Gilles Sarraute. Le nord et l’ouest de la province y sont donc sous-représentés.
Cartes et chiffres montrent bien qu’à distance égale, la province du Dauphiné est celle qui a fourni le plus de migrants au Rouergue.
Le nombre de mariages de Dauphinois inscrits dans la base du C.G.A. en 2015 est de 54 (44 hommes et 10 femmes) pour le XVIIe siècle et de 35 (30 et 5) pour le XVIIIe siècle (il peut y avoir un effet de source pour expliquer que ce nombre diminue en fin de période).
La distribution de ces Dauphinois sur la partie du territoire rouergat couverte par la base du C.G.A. est assez dispersée, mais il faut noter qu’environ un quart de ces mariés passent contrat à Rodez, où ils sont installés.
L'origine des Dauphinois du Rouergue
Leur lieu d’origine n’a pas toujours pu être identifié, car parfois l’acte est imprécis (« de la province du Dauphiné », « du diocèse d’Embrun ») ou parfois le nom indiqué n’a pas été retrouvé.
carte empruntée à Dauphiblog.com, sous licence Creative Commons, sur laquelle j'ai ajouté le nombre de Dauphinois originaire d'une ville ou d'une région retrouvés dans la base du C.G.A., quand j'ai pu identifier le lieu d'origine
À partir de 75 lieux d'origine identifiés, on constate :
- Une forte concentration originaire des environs d’Embrun et du Queyras (au moins 29 cas). Le bourg de Châteauroux-en-Dauphiné, entre Embrun et Guillestre, arrive en tête (9 occurrences).
- Un autre groupe vient de la vallée de la Romanche et du massif de l’Oisans (16 cas) ;
- Un troisième de la région de la Mure (6 cas) ; un quatrième, plus dispersé, de la région de Gap ;
- On trouve aussi sept Grenoblois ;
- Enfin le Bas-Dauphiné et le Valentinois sont représentés par quelques cas isolés.
- Signalons Claude Jean Arfan de Reilhanette en Dauphiné, diocèse de Carpentras, dans la région du Mont Ventoux (marié en 1640 à Nant).
- Paul Olivier, marchand de Millau, originaire de la Tour, vallée de Luséone en Piémont, passe contrat de mariage à Millau en 1684 ; sont présents ses deux cousins Jacques et Daniel Olivier, marchands de Molines en Dauphiné.
Des Dauphinois à Saint-Léons
Les liens entre Dauphiné et Rouergue seraient donc à étudier précisément. On trouve à plusieurs époques des Dauphinois qui s’installèrent en Rouergue.
À Saint-Léons, ils furent quatre à faire souche au cours du règne de Louis XIV.
Le premier s’appelait Esprit Antoine, Esprit étant son prénom et Antoine son nom de famille. Il était parfois surnommé Esprit Credo ! Il était originaire de Châteauroux-en-Dauphiné. Le 10 novembre 1672, il passa contrat de mariage avec Antoinette Benoit, fille d'un aubergiste de Saint-Léons. Leurs biens furent d’abord transmis à leur fille aînée Marie épouse Vialettes. Mais faute de postérité, c’est leur cadette Anne épouse Jean Vernhet, sabotier, qui hérita. De ce dernier couple descendait la famille Vernhet qui devint riche et puissante, à l’échelle de Saint-Léons, à la fin du XVIIIe siècle.
En 1684, un autre Dauphinois de Châteauroux s’installa à Saint-Léons, il s’agit de Claude Bertalais, marié à Marie Gavalda. Il était marchand et aubergiste. Son second fils fut baptisé Claude-Antoine avec Esprit Antoine pour parrain. En 1694, un homme nommé Joseph Bartalais, originaire de Châteauroux, décéda à Saint-Léons, sans que le lien ne soit établi avec Claude.
En 1694 et en 1698, deux autres Dauphinois épousèrent les deux nièces d’Antoinette Benoit : François Toscan, colporteur originaire de La Roche, épousa Antoinette et Antoine Nicolet, marchand originaire de « Pogier » (lieu non identifié) se maria avec Madelaine. Tous deux devinrent aubergistes. Les descendants de François Toscan poursuivirent dans le commerce et l’artisanat. Jean Nicolet (1703-1781), fils d’Antoine, devint praticien, greffier, avocat, plusieurs fois fermier de la seigneurie. Élevé par sa mère et son parâtre, il passa quatre ans à Aguessac, pour fréquenter une bonne école, puis poursuivit ses études à Millau et Villefranche (acte du 04 février 1737, Fabre).
Ces quatre familles formaient donc un ensemble cohérent de petits notables, entre commerce et artisanat. Elles faisaient partie d’un réseau plus large : en 1682 à Millau, Michel Toscan frère de François, marchand gantier, épousa Marie Bors. En 1689, il se remaria avec Isabeaux Miral. En 1704, Jean (prénom) Antoine (nom) de Châteauroux épousa à Compeyre Marie Fabre d’Aguessac, en présence de François Toscan de Saint-Léons, qui assista aussi, en 1712 à Salles-Curan, au mariage de Gabriel Antoine, frère de Jean, avec Catherine Daures.
Les métiers des Dauphinois
La plupart d’entre ceux qui ont une profession indiquée étaient marchands ; leur spécialité est parfois spécifiée : marchand de toiles, marchand ferratier, marchand potier d’étain, marchand boytier, marchand gantier, colporteur.
On trouve quelques autres professions : un maître fondeur, un cuisinier, un postillon, un cordonnier, un tisserand, des travailleurs et d’anciens soldats. Quelques exemples :
En 1694 à Mostuéjouls décède Jean Dumas, fondeur d’étain et rapiéceur de chaudrons et autres - paroissien de St Hyppolyte en Dauphiné.
En 1650, décède à Saint-Affrique Armand Dami, de Saint-Georges à trois lieues de Grenoble, pauvre cavalier de 50 ans, malade l’espace de 3 mois pour s’estre rompue une jambe, estant tombé de cheval.
registre paroissial de Saint-Affrique, A.D. de l'Aveyron, 2 E 216-GG2
Le quatorziesme mars mil six cens septante sept environ six heures du soir, Estiene Charlin, cavalier dans la Compagnie du marquis de Belacul [que lire d'autre?], appellé de son nom de guerre Lacombe, âgé d’environ vingt quattre ans, natif dun bourg en Dauphiné appellé Bourgouin, au diocèze de Viene, moureut dun coup de sabre sans sacrements, nayant peu parler, excepté l’extrême onction que ie, Antoine Noël prestre chanoine et secondaire, luy administré dans la maison de M[essire] Autour M[aître] chirurgien, où il feut porté par d’autres soldats ses camarades pour estre pansé de ses blessures ...
En 1709 à Camarès, décède Catherine Fanja, 36 ans, épouse Antoine Telier, compagnon drapier de Saint-Martin en Dauphiné, diocèse de Vienne ; le dit Antoine roulant le pays pour travailler de son métier.
Mathieu Andrenon, « Va de bon cœur », ancien dragon du régiment de la Reine, de la Côte-Saint-André, se marie à Rodez en 1738 à l’âge de 24 ans.
Les Dauphinois dans les archives judiciaires
Les Dauphinois des montagnes étaient nombreux à exercer la profession de colporteur de façon saisonnière ou sur plusieurs années. L’inventaire des séries 3 B et 4 B des Archives départementales de l’Aveyron est disponible grâce au travail du regretté Jean Maurel. Il en signale plusieurs, tant du côté des voleurs ou des vagabonds, que du côté des victimes :
- 2 août 1715 – Le sieur Oronce Mathieu, marchand de Rodez, et le procureur du roi, contre X : vol de toiles, avec effraction ; recel possible ; nouvelle affaire de même ordre en octobre de la même année (3 B 3). Oronce Mathieu est arrivé à Rodez vers 1695, il est originaire de Châteauroux et s’installe comme négociant, se marie en 1710 avec une fille de marchand ruthénois. La procédure signale la présence d’André Aniel, parent maternel du suppliant.
- 12 août 1746 – Le sieur Joseph Poussonel, bourgeois de Pont-de-Salars, contre Poitevin (Peytavin), colporteur, natif du diocèse d’Embrun en Dauphiné : refus de repas et de vin au colporteur, lequel, éconduit, jette des pierres contre les fenêtres ; selon lui, il ne visait qu’un pot de chambre qui était sur le rebord des fenêtres. Le bourgeois serait en dette de plus de trois mille livres envers le colporteur ; plainte du colporteur à son encontre (3 B 21).
- 4 avril 1780 – Contre Joseph Jayme, natif de Saint-Quentin en Dauphiné, marchand colporteur bijoutier, Pierre Vigary, natif de Péiriac diocèse de Narbonne, marchand colporteur quincaillier, et Mathieu Paul, natif de Redortier en Dauphiné, marchand livraire colporteur, poursuivis pour vagabondage. Arrêtés par les valets de ville de Nant et remis à la maréchaussée. Emprisonnés à Rodez, puis élargis le 1er mai. Des objets permettant de jouer à la loterie, cornes et dés, sont confisqués (4 B 27).
Jean-Yves Bou, 2015-2017.